jeudi 28 avril 2011

Chapitre second

Chapitre second




L’agitation grandissait au nord du port, les gens étaient arrivés en foule, et des centaines de bateaux s’apprêtaient à accoster. Assis sur le toit de sa maison, Poral regardait avec attention ce qui se passait. Beaucoup de bruits agitaient la foule, et à sa tête plusieurs soldats entouraient le roi de Kalor qui était accompagné d’un homme petit et mince tout habillé de noir. Le jeune homme avait beau l’examiner, il ne parvenait pas à identifier celui qui accompagnait son souverain. Soudain le silence se fit, le premier bateau, visiblement plus grand et plus luxueux que les autres, s’était amarré et deux personnes en étaient descendues. La première était un homme magnifiquement vêtu de blanc et rouge, il serra la main du seigneur des lieux et le prit dans ses bras en une grande accolade amicale, il fit de même avec l’homme vêtu de noir. Ensuite, bien que Poral à cette distance ne puisse entendre ce qui se disait sur le port, il comprit que le nouveau venu présentait aux deux hommes la jeune fille qui l’accompagnait. Puis, pendant que les autres bateaux accostaient et déchargeaient des montagnes de caisses, les quatre personnes accompagnées de quelques hallebardiers se dégagèrent de la foule et prirent la direction du château. Poral les suivait des yeux, ils allaient bientôt disparaître derrière les premiers bâtiments du port. Son regard s’attarda sur la jeune femme qui se tenait derrière les trois nobles. C’est alors qu’elle leva la tête et, malgré la distance, leurs regards se croisèrent. Quelque chose de spécial se passa dans l’esprit du jeune homme, il sentit une étrange complicité naître en lui comme si cette fille qu’il n’avait jamais vue était la personne en qui il pouvait avoir le plus de confiance. Elle s’arrêta au moment où elle aurait dû sortir de son champ de vision, peut-être ressentait-elle la même chose ? Elle détourna le regard quand un hallebardier la pria d’avancer et disparut derrière les bâtiments. Poral se dirigea vers l’échelle et descendit de son toit, il se sentait tout retourné, il ne connaissait pas le sentiment nouveau qu’il éprouvait, cela n’avait rien à voir avec l’amour qui l’avait embrasé deux ans plus tôt quand il avait aperçu cette danseuse au pub, il avait l’impression de connaître cette femme par cœur et réciproquement. Quand il toucha terre il lui fallut quelques secondes pour lâcher l’échelle et se diriger enfin vers la porte.
Athalia ne savait que penser. Alors qu’elle remontait en direction du château, accompagnée de son frère, du roi Aron et du roi Williams, elle ne faisait même pas attention à ses bottes qui s’enfonçaient et se salissaient dans la neige. Toutes ses pensées étaient tournées vers ce qu’elle venait de ressentir pour un inconnu. Cette impression de familiarité, de confiance, en un seul regard ! Elle était tellement plongée dans ses réflexions qu’elle se retrouva avec ses accompagnateurs devant le palais royal plus tôt qu’elle ne l’aurait pensé. C’était la première fois qu’elle voyait la prestigieuse bâtisse, les hommes qui l’accompagnaient s’en approchèrent sans même y prêter attention mais Athalia, elle, ne put décrocher son regard de ce qu’elle voyait. Le palais d’Ariadas, sa ville natale, paraissait totalement insignifiant face à l’immense édifice qui se dressait devant elle. Une porte aux proportions démesurées était gardée par quatre sentinelles vêtues d’armures d’or qui étincelaient, touchées par les quelques rayons qui perçaient pour la première fois depuis plusieurs semaines derrière les nuages. Un immense dôme de verre surplombait l’édifice, le givre sur les vitres lui donnait un aspect irréel. Elle fut tirée de ses pensées par la voix de son frère qui l’appelait. Dans sa contemplation, elle s’était de nouveau arrêtée en chemin et avait pris du retard sur les autres qui montaient déjà les marches menant à l’entrée, elle s’empressa de les rejoindre. Azaat lui adressa un sourire : « Impressionnant, tu ne trouves pas ?
            - C’est, elle marqua un pause, magnifique, conclut-elle, je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi beau, les lumières donnent comme vie à cet endroit.
            - Quelle chance tu as, Aron, intervint Williams, même ta demeure attire les belles filles ! »
Athalia sentit ses joues chauffer quelque peu, mais personne ne prêta attention à son visage qui s’empourprait, et les trois hommes, après que les gardes eurent ouvert la porte, s’engouffrèrent dans l’immense hall d’entrée du bâtiment. Une fois de plus la jeune fille fut ébahie par la beauté des lieux. Ils traversèrent plusieurs couloirs puis, au bout de quelques minutes, Aron les fit entrer dans une petite salle parsemée de canapés et de fauteuils aux allures très confortables, et baignée par une lueur rouge émanant de l’âtre de la cheminée.
             « Je pense que nous serons mieux ici pour parler, plutôt qu’autour d’une table dans une salle froide et immense, expliqua Aron.
            - Vous pensez très bien, cher ami, assura Azaat, j’ai beaucoup à vous dire ; autant, pour cela, être bien installé. »
Les trois rois et la princesse prirent place. Un serviteur posa sur la table plusieurs théières contenant toutes sortes d’infusions venues des quatre coins du territoire. Quand il sortit de la pièce la conversation put reprendre :
             «  Alors vous êtes, vous aussi, en avance, reprit Williams, j’ai l’impression que l’on prend notre hôte par surprise !
            - Non, ne vous inquiétez pas pour cela. Au contraire je dois avouer qu’Azaat et sa flotte tombent réellement à pic. Maintenant que vous avez brisé toute cette glace les activités maritimes vont enfin pouvoir reprendre. Et par conséquent, j’ai à présent la possibilité de me consacrer entièrement à notre petite réception.
            - J’ai une question à vous poser, Azaat, je veux bien croire que votre ravissante sœur ait besoin d’une montagne de bagages mais le nombre de vos bateaux me paraît démesuré. »
Athalia, assise auprès du roi d’Orglade, son frère, sentit de nouveau son teint s’empourprer.
             «  Ces bateaux sont chargés d’offrandes, dont la plupart sont pour vous, Aron, car je pense que cet hiver vous a quelque peu épuisé. Le reste est réservé au temple de Pagyva, cela fait plusieurs mois qu’il n’a pas reçu d’offrande provenant de mes terres.
            - Je vous remercie de cette attention et je dois avouer que sans votre aide j’allais droit à la catastrophe et à la famine.
            - Tout le plaisir est pour moi, mon ami, répondit l’intéressé, j’ai moi aussi une question à poser : au moment où ma flotte approchait du port, un cri atroce m’a fait lever la tête et j’ai alors eu, comment dire, une vision des plus horribles. Le visage d’un homme qui paraissait torturé, horriblement déformé. Croyant que cette vision venait de vous, j’ai immédiatement ordonné de hisser pavillon. Mais personne sur le bateau, même pas ma sœur ici présente, ne semble avoir vu cette…, il hésita, chose.
            - A vrai dire, intervint Williams, je souhaitais moi aussi quelques éclaircissements de cet ordre. Vos vassaux ne paraissent aucunement concernés, à part Darang, par ce que vous avez créé avec le glaive.
            - Cette arme est, comment dire, possédée. Il y a en elle quelque chose, une vie, expliqua Aron, cet esprit m’obéit, quelquefois, et je lui ai demandé, pour n’affoler personne, d’apparaître uniquement aux yeux des personnes présentes pendant la Guerre des Anges. Voilà pourquoi seuls Darang et nous trois avons pu la voir.
            La conversation s’engagea alors sur une tout autre voie, les trois rois parlèrent de ce qui s’était passé des années plus tôt. Les trois jeunes hommes étaient effectivement liés par des liens autres que ceux qui pouvaient exister entre souverains de royaumes différents. Ils étaient unis par une grande amitié, un sentiment né bien des années plus tôt alors qu’ils n’étaient que de jeunes princes. Leurs trois pères étaient alors alliés dans une guerre au-delà de leurs royaumes, afin d’affirmer leur suprématie. Ils avaient donc tous les quatre, avec Darang, passé la plus grande partie de leur enfance ensemble, tissant entre eux des liens privilégiés. Ils furent tirés de leur conversation par quelques coups sonores sur la porte. Après la permission d’Aron celle-ci s’entrouvrit et Darang entra dans la pièce : 
            « Votre altesse, dit-il en s’inclinant vers Aron, Majestés, ajouta-t-il à l’adresse d’Azaat et de Williams et, se tournant vers Athalia, il ajouta, Princesse, je suis enchanté de faire votre connaissance.
            - Tu crois qu’il nous a reconnus ? plaisanta Williams en s’adressant à ses deux amis. Houhou Darang, rappelez-vous ! Ce n’est que nous, avec qui vous avez partagé plusieurs années de votre vie.
            - Je crois que nous ne le changerons pas, ajouta le roi d’Orglade, notre ami ici présent a pour passion de nous ennuyer avec ses belles manières.
            - Tout le plaisir est pour moi, riposta l’intéressé avec un grand sourire, quelle joie de nous retrouver enfin tous les quatre. »
Les deux invités se levèrent et prirent dans leurs bras le protecteur royal en souvenir du bon vieux temps.
Athalia, confortablement installée dans son fauteuil, bercée par la douce chaleur des flammes, écoutait sans vraiment faire attention la conversation entre les quatre hommes qui relataient leurs souvenirs de jeunesse. La fatigue accumulée pendant les jours de voyage lui tomba sur les épaules et pendant que ses yeux se fermaient de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps, les voix si proches au début s’éloignaient, ne devenant plus qu’un arrière-plan sonore. Elle sombra finalement, et sans que personne ne s’en rende compte, dans un profond sommeil.


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*   *

Le monde des rêves est souvent fait de pensées, de fantasmes qui deviennent au final quelque chose d’incohérent et d’incompréhensible, cette fois-là ne fit pas exception. Athalia, plongée dans son inconscient, se retrouva dans une jungle où tout était noir et lugubre mais, bizarrement, elle ne sentait aucune peur en elle. Sans même se retourner, elle sentit à sa droite une présence rassurante et quand elle pivota, elle reconnut immédiatement le jeune homme qu’elle avait aperçu l’après-midi même au port. Mais ce n’était pas tout, à ses côtés cinq autres personnes étaient debout. Elle les regarda toutes une à une et ressentit pour chacune d’elle les mêmes sentiments, la même confiance, et pourtant elle ne pouvait les reconnaître, leurs visages restaient dans l’ombre. Un mouvement sur sa gauche attira son regard, un homme arrivait vers eux, lui aussi était impossible à identifier. Mais Athalia éprouva pour lui quelque chose de différent, quelque chose qui explosa en elle, et un frisson la parcourut. Son cœur se mit à battre la chamade, elle voulait s’approcher, voir son visage et prendre cet inconnu dans ses bras. Mais au moment où elle allait le faire, une main se posa sur son épaule et lui interdit tout mouvement. Elle fit volte-face pour voir qui se tenait derrière elle, mais il y avait seulement une multitude d’arbres très sombres. Une lumière aveuglante perça alors à travers les troncs. Elle englobait tout, et la forêt disparaissait peu à peu de la vue de la jeune fille, elle eut juste le temps de se retourner, de jeter un dernier regard à l’homme sans visage dont elle ne distinguait déjà plus que les contours, puis la lumière l’atteignit et la rendit aveugle à tout ce qui l’entourait.


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            Azaat secouait légèrement sa sœur qui s’éveilla lentement. Quand elle reprit totalement ses esprits, elle se leva d’un bond et se répandit en excuses devant le maître des lieux. S’endormir en présence d’un roi et en plein milieu d’une conversation représentait habituellement un grave affront. Mais Aron n’était pas de ces souverains-là, il la regarda s’excuser puis ajouta : « Je vois que vous êtes comme votre frère, et j’en suis plus qu’heureux. »
            Elle lui sourit et se rendit alors compte qu’une autre personne était entrée dans la pièce. C’était une femme ravissante, dont le teint pâle contrastait avec des cheveux d’un noir de jais. Elle avait de splendides yeux verts et regardait la jeune fille avec tendresse. Elle se leva alors, fit face à Athalia et s’inclina devant elle, un sourire agréable sur le visage : 
-  Princesse, je suis très heureuse de faire votre connaissance. » 
L’intéressée jeta un regard interrogateur aux quatre hommes assis non loin d’elle. C’est Aron qui prit la parole :
 « Je vous présente ma femme, Flora Mildva, reine depuis peu des royaumes de Kalor.
- Je suis enchantée, s’exclama Athalia, c’est un honneur, j’ai tellement entendu parler de vous.
- En bien, j’espère ! répondit la souveraine.
- Oui, en très bien, les récits de vos actes pour sauver les enfants de votre royaume ont bercé mon enfance.
- Ce fut une époque très triste pour mon peuple, confia Flora, mais malgré tous les décès qui ont entaché cette journée, sauver ces enfants de la guerre reste le meilleur de mes souvenirs, et de mes actes. »
            Il s’ensuivit de ces paroles une longue conversation au cours de laquelle la reine expliqua à la jeune princesse pourquoi cette date aurait marqué la fin de son peuple, si Aron et son armée n’étaient pas intervenus. Elle raconta aussi leur première rencontre qui avait eu lieu le même jour. Les deux femmes semblaient s’entendre à merveille. L’après-midi passa, sans que personne n’y prenne garde.
            Un majordome vint quelques heures plus tard leur annoncer que les effets personnels des invités avaient été installés dans leurs chambres respectives, non loin des appartements royaux, tout en haut de la tour ouest. Il les invita donc à se préparer pour le repas qui serait servi quelques minutes plus tard.
            Après avoir accompagné les invités jusqu’à leurs quartiers, Aron et Flora prirent ensemble, suivis de près par Darang, la direction de leurs appartements. Le garde et la reine étaient en grande conversation, alors que le roi, lui, marchait devant la tête baissée. Quelque chose le contrariait, bien sûr il était comme eux tous très heureux de retrouver ces amis de longue date, mais il avait l’impression de passer à côté d’autre chose… de spécial, comme un pressentiment. Puis ils arrivèrent devant la chambre royale et il chassa cette idée de sa tête, il voulait avoir tous ses esprits pour profiter de la présence de ses amis et les accueillir comme il le devait. Darang les salua et demanda la permission de se retirer pour mettre des vêtements de circonstance. Après avoir acquiescé, les deux époux poussèrent la porte et entrèrent dans leur immense chambre. Aron eut une fois de plus une impression bizarre qui, cette fois-ci, n’échappa pas au regard de sa femme. Quelque chose en son for intérieur lui conseillait de profiter des bons moments pendant qu’il le pouvait encore. Il jeta un rapide coup d’œil circulaire et une profonde nostalgie l’envahit. Que de bons souvenirs, que de moments géniaux cette pièce lui rappelait ! Il comprit alors que son subconscient avait raison, il fallait profiter des bons moments tant qu’il le pouvait. L’évidence le frappa alors, pourquoi pensait-il que le temps lui était compté, pourquoi son instinct l’avertissait-il que le moment des bonnes choses touchait à sa fin ? Flora lui posa délicatement la main sur l’épaule :
            « Qu’est-ce qui ne va pas, mon ange ? Tu m’as l’air contrarié.
            - Rien, ne t’inquiète pas. Il lui adressa un sourire qui ne pouvait tromper personne, mais il ne pouvait faire mieux. Allez, mon amour, fais-toi belle, je veux que ta beauté illumine la salle ce soir, comme elle le fait toujours.
            Elle l’embrassa délicatement et Aron oublia tout ce qui le tracassait, les battements de son cœur se firent entendre derrière ses tempes. C’était comme s’il retombait amoureux, il sentit ses jambes faiblir et la caresse de ces mains amies lui fit ressentir un doux frisson. Chaque fois que les lèvres de sa femme effleuraient les siennes, chaque fois que son parfum lui parvenait aux narines, c’était comme s’il la redécouvrait et un sourire sincère revint éclairer son visage.
            Il fallut moins d’un quart d’heure à Aron pour être prêt pour le repas, il s’apprêtait à sortir pour se diriger vers la grande salle, quand sa reine l’interpella :
             « Aron, je te rejoindrai en bas, je n’en ai plus que pour quelques minutes.
            - Prends ton temps, j’ai dit à Azaat et Will que je les attendais dans encore une demi-heure.
            - D’accord, à tout de suite, je te laisse le soin de tout gérer, comme toi seul sais le faire. Tous deux affichèrent un doux sourire. Je t’aime, lui dit-elle alors qu’il avait tourné le dos et s’apprêtait à partir.
Il lui répondit très sincèrement la même chose, ferma la porte et partit en direction de la grande salle. Mais au fond de lui, les dernières paroles qu’ils avaient échangées firent renaître l’anxiété qui l’avait saisi quelques minutes plus tôt. Cette fois-ci il en était sûr, quelque chose allait très bientôt se passer, mais de quoi devait-il se méfier ?

3 commentaires:

  1. (Tu as bien eu mon commentaire pour celui-là?)

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  2. Ah merde, apparemment il n'a pas marché....
    Qu'est-ce que je disais, déjà?

    Ca y est, j'suis en plein dans ton texte, l'intrigue a commencé rapidement, j'aime beaucoup (et je n'ai vu aucune faute dans celui-ci, pour le coup)

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  3. ;) content que ça te plaise =) je te met la suite de suite ;)

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