mercredi 11 mai 2011

Chapitre Sixième

Chapitre sixième

Au départ simple ruisseau, l’eau descendant des hauts glaciers de la montagne parcourait des centaines de mètres avant de rencontrer d’autres coulées semblables pour former un large torrent. Celui-ci, qui roulait pierres et graviers, s’était au fil des années construit un lit où il coulait paisiblement avant de se jeter avec force du haut du pic rocheux, formant ainsi une magnifique cascade scintillante. Torse nu, la musculature impressionnante et le corps couvert de cicatrices, un homme en profitait pour se doucher, sans aucunement plier ni sous la pression de l’eau qui lui fouettait les épaules, ni sous sa température glaciale. Voilà plusieurs années déjà que celui qui avait été le héros de tant de guerres se reposait loin de tous, exilé dans les profondeurs de son île natale. Il se rappelait encore les dernières paroles qu'il avait échangées avec des humains :
« Mes yeux sont fatigués de toutes les horreurs qu’ils ont vues, mes membres endoloris par tous les coups qu’ils ont donnés et mon cœur est plus que tout brisé par toutes ces vies amies qu’il a senties partir. Je m’en vais à présent loin des hommes et des guerres, tout cela est fini pour moi »
Beaucoup avaient pris cela pour des paroles en l’air, pour une plaisanterie. Après tout, comment le héros du pays, celui qui avait combattu avec tant de forces, pouvait-il les laisser ? Oui, pour eux il était le grand guerrier, fierté de la région pour laquelle il avait, à l’époque, pris part aux combats, mais de son point de vue, tous ces hommes braillant et buvant pour fêter la victoire à l’issue d’une guerre qui éclaterait certainement de nouveau quelques mois plus tard, ne représentaient rien. Il n’avait jamais eu aucun lien avec personne, beaucoup de gens avaient voulu s’accrocher à lui, en faire leur ami, mais lui, tellement refermé sur lui-même, n’avait jamais ouvert son cœur. Voilà pourquoi, au sein de sa forêt, coupé de tout lien humain, il se sentait à son aise. Perdu dans ses pensées, il laissait l’eau tomber sur lui sans même la sentir. Mais il fut brutalement ramené à la réalité. Quelque chose lui heurta le dos de plein fouet. Terrassé par la violence du coup et par la surprise, il mit un genou à terre. La respiration haletante, il se releva doucement de peur de sentir sa colonne vertébrale se briser plus qu’elle ne l’était peut-être déjà. Par de lents mouvements, il regarda tout autour de lui, à la recherche de ce qui avait bien pu lui causer l’intense douleur qui lui labourait encore l’échine. Son instinct de guerrier et ses sens qu’il maîtrisait à la perfection lui assurèrent qu’il n’y avait personne aux alentours, et aucun rocher à portée ne semblait assez proche pour l’avoir heurté, mais c’était la seule solution possible et il s’en contenterait pour le moment.
« Voilà c’que tu gagnes à te baigner sous une cascade, gros malin » pensa-t-il tout haut.
Du sang coulait sur ses jambes et disparaissait dans les remous créés par la chute d’eau. Il se passa la main dans le dos, et n’y trouva pas le trou béant auquel il avait pensé. Ses muscles de colosse lui semblaient toujours intacts, mais de fines coupures lui striaient apparemment la peau. Il n’en était pas à sa première blessure et prit immédiatement la décision de nettoyer la plaie quelle qu’elle soit. Il exposa donc son corps à l’immense coulée argentée qui tombait de la falaise. Il n’y resta qu’une minute, mais quand il sortit, la douleur avait déjà entièrement disparu. La blessure n’était décidément pas aussi importante qu’il ne l’avait craint. Il s’assit sur un rocher pour reprendre ses esprits et palpa de nouveau, avec une attention accrue, l’endroit de ses maux. Ses doigts calleux glissaient sur sa peau mouillée, sans réussir à détecter la moindre anomalie, pourtant aucune blessure ne pouvait guérir aussi vite. De plus il fut étonné de voir que ses doigts n’étaient aucunement maculés de sang. Comme il était assis face à la forêt luxuriante et pleine de vie qui avait pris possession de la moitié de cette île, c’était dans son dos que se trouvait la petite étendue d’eau au pied de la cascade. Il regarda par dessus son épaule, pour voir ce qui lui avait procuré cette douleur, il fallait qu’il sache. L’eau à présent calme lui offrit une vue impeccable sur lui-même, mais ce qu’il vit l’effraya plus qu’il ne l’avait jamais été. Sur toute la surface de son dos était inscrite, comme gravée, une immense marque. Il ne pouvait en détacher le regard. Cette main portant le soleil, cela ne pouvait être une coïncidence ! Pagyva, le dieu des dieux, de qui ce guerrier s’était depuis longtemps détourné, lui adressait un signe à présent. La sensation était étrange, lui qui s’était senti seul toutes ces années, abandonné, comme perdu… Et cette main qui se tendait d’un coup comme pour venir à son secours, il ne pouvait le croire. Non, les dieux n’étaient que foutaises, une simple excuse utilisée par certaines personnes possédant une grande soif de pouvoir. Mais alors comment… comment ce qui venait de se passer était-il possible ? Il plongea sa tête dans ses mains, se massa les tempes, se mit trois claques comme pour se réveiller (chacun de ces coups aurait sûrement abattu un adulte normalement constitué) puis retenta l’expérience. Comme il s’y attendait, il n’avait pas rêvé, la marque était bien là, ressemblant à présent à une ancienne cicatrice. La tête lui tourna. « C’est évident, pensa-t-il, un rocher a heurté mon crâne et voilà que je me surprends à délirer. Une bonne heure de repos va me remettre d’aplomb. » Il se leva tant bien que mal en luttant contre la sensation de vertige causée plus par le choc mental que par la douleur physique, et se dirigea vers la forêt. Il avait tellement hâte de dormir pour se réveiller enfin sans cette marque qu’il ne prit pas la peine de rejoindre sa cabane et se coucha sur le premier endroit confortable qu’il trouva. Il tomba alors immédiatement dans un profond sommeil.


*
*    *
           
            Le réveil fut difficile. Le guerrier fut réveillé en sursaut par des bruits d’explosions et des cris d’agonie. Il n’était plus sous les arbres de sa chère forêt, mais au beau milieu d’un champ de bataille. Quelqu’un dont le visage resta flou sortit de la fumée qui entourait le colosse, et l’aida à se relever. Cette personne, il lui semblait la connaître, très bien même, mais son nom et son visage ne lui revenaient pas. Il comprit qu’elle lui parlait, sans pourtant entendre le son de sa voix. Il ne comprit pas non plus comment, malgré ce silence, il sut que la personne lui disait de faire vite et de se dépêcher d’y aller. Aller où ? Si son esprit l’ignorait, il était évident que son corps, lui, le savait. Suivant son camarade, il plongea dans l’épaisse brume et s’y perdit. Tout autour de lui, le néant, rien que le néant. Ses jambes avançaient sans même obéir à ses recommandations de prudence. Il marchait implacablement vers un lieu qui lui était inconnu. Un cri effroyable lui parvint aux oreilles et résonna alentour. Il était habitué aux cris de douleur qui ne lui faisaient plus froid dans le dos, mais celui-là était un cri de haine poussé par la créature la plus puissante qu’il ait jamais rencontrée. Il en avait la certitude. Ses jambes s’étaient mises à courir, et ne s’arrêtèrent que quand le guerrier eut atteint une immense paroi rocheuse. Son regard parcourut la falaise, comme s’il recherchait quelque chose, mais le problème est qu’il ignorait quoi. Il ne contrôlait rien de toute façon, c’était comme s’il voyait quelqu’un se servir de son corps à sa place. Son regard s’arrêta quand il passa sur une ouverture au pied des rochers. Il se baissa immédiatement et passa par le trou. La roche ouvrait sur une petite cavité, en son centre se tenait une ombre recroquevillée sur elle-même. Le colosse sentit son cœur s’emballer et se jeta sur cette ombre qui releva immédiatement la tête. Encore un visage flou. Mais il savait que cette personne était la plus importante, il savait pertinemment de qui elle était. Ils s’enlacèrent et leurs lèvres vinrent s’unir. Puis un bruit intense se fit entendre au-dessus d’eux, il eut juste le temps de lever les yeux, pour voir tomber sur lui les énormes rochers qui constituaient le plafond de la grotte.


   *
                                                                       *    *

            Il se réveilla et prit une grande inspiration, comme quelqu’un qui sort de l’eau. Depuis quand n’avait-il pas senti la chaude caresse d’une larme sur sa joue ? Il reprit ses esprits, il se sentait triste, anéanti, et tout ça pour un rêve, cela ne lui ressemblait pas. Il fut très surpris de voir qu’il avait dormi durant des heures. En effet, d’après la position du soleil la journée touchait à sa fin. Cela voulait dire qu’il avait dormi toute la matinée et une partie de l’après-midi. La raison de son sommeil lui revint en tête comme si l’on venait de le heurter de plein fouet. La marque, l’avait-il rêvée ? Il courut jusqu’au point d’eau et examina son reflet… La main de Pagyva était toujours visible, il n’avait pas eu d’hallucination, tout ceci était réel, jusqu’à l’existence des dieux, il fallait bien l’admettre. Tant de questions se bousculaient dans sa tête, mais peu importait leur nombre, car quand il serait à Blos Kalor, toutes les réponses lui seraient données. La ville sainte, voilà encore un phénomène étrange. Il ignorait pourquoi cette ville lui venait à l’esprit, puisqu’il n’y avait que des ennemis. Mais tout son être le poussait vers cet endroit et après tout, son instinct ne le trompait jamais. Il prit alors la direction de sa maison afin de rassembler ses affaires et de rejoindre le minuscule village portuaire afin prendre le premier bateau pour le continent.

2 commentaires:

  1. Ouais, ça fsait longtemps je sais.... Dès que je rentre de vacances je rattrappe tout mon retard de lecture! :)

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  2. Hello mon petit Lilium!! :) Et bonne année!!
    Je ne sais pas si tu relèves encore tes commentaires, mais c'est le début de l'année, et j'ai décidé d'envoyer un petit machin truc à mes copains de blog.... T'en fais partie, et, si ça t'intéresse, tu n'as qu'à me donner ton adresse postale sur mon mail:
    volette.dessins@gmail.com

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